Techniques d’écritures | Interview – Version print
Exercice universitaire | LP Techniques Journalistiques pour les Nouveaux Médias – Paris 8 Université (93)
2019 – 2020

[Interview]
Accompagner vers l’au-delà, la vocation d’Océane*

Interview, réécriture et mise en page par mes soins.

Bien qu’elle se définisse comme « décalée », Océane* semble pourtant avoir les pieds sur Terre lorsqu’elle aborde son nouveau défi professionnel. Depuis février 2020, cette gersoise d’adoption appréhende le métier de conseillère funéraire. Dans l’attente d’une formation diplômante, elle a déjà pris part à la vie d’une entreprise de pompes funèbres lors d’un stage d’une durée de deux semaines à Condom (32). Quand elle évoque son futur métier, Océane* parle de « vocation » et « d’expériences » de la vie qui l’ont menées sur cette voie. Essuyant les remarques et les étonnements, cette jeune femme n’en reste pas moins déterminée et accepte même de témoigner pour tenter de ‘normaliser’ le métier… Rencontre.

· Peux-tu me donner ta vision du métier de conseillère funéraire ? 

En quelques mots, le métier de conseillère funéraire, c’est accompagner les familles face à la perte d’un proche. Lors de ces périodes douloureuses, nous les soulageons dans la prise en charge administrative et l’organisation des obsèques. C’est très important de choisir les bons mots. D’ailleurs, nous nous considérons comme un soutien et pas une aide. L’aide étant apportée par les professionnels du social comme les psychologues… Mais ce soutien peut être apporté par tous : se sentir écouté et accompagné au moment où l’on en a besoin, être assisté dans la gestion de papiers, être rassuré… Ça permet de soulager les proches d’un défunt.

· Qu’est-ce qui t’a amenée vers cette profession ?

Malheureusement, cela fait maintenant trois ans que ma mère est décédée… Lors de ces obsèques, il n’y a eut ni soins de conservation ni maquillage, aucune préparation… Ses yeux et sa bouche étaient ouverts, on voyait la douleur sur son visage, cela m’a choquée. Depuis ce jour, je me suis jurée que cela ne devait plus arriver. Plus jamais et pour personne. C’est un manque total de respect pour le défunt mais également pour la famille. En devenant conseillère funéraire, je veux apporter ma pierre à l’édifice lors de ces périodes de deuil, et surtout réaliser mon travail correctement. 

· Penses-tu qu’il faille avoir traversé des expériences douloureuses comme la tienne pour exercer un métier si spécifique ?

Oui, je pense qu’il faut avoir vécu des choses douloureuses pour pouvoir comprendre le ressenti des familles que l’on accompagne. Si tu n’as jamais connu cette douleur, tu ne pourras pas être dans l’empathie. Je pense qu’on se lance dans les métiers du funéraire lorsqu’on a été confronté à la mort. Ça développe une force de caractère nécessaire à la profession, tout en gardant du recul pour rester professionnel·le. 

· Qu’est-ce qui te motive dans ce métier ?

Ce qui me motive et m’encourage, c’est d’avoir la responsabilité de la dernière image que renvoie le défunt. Si nous ne faisons pas correctement notre travail, la famille restera sur des souvenirs négatifs et aura du mal à faire son deuil… À l’inverse, cela peut aider les familles à laisser partir paisiblement le défunt. Même si cela restera toujours un moment compliqué, nous tenons à offrir un accueil chaleureux aux familles pour témoigner de notre soutien. 

· As-tu déjà rencontré des difficultés lors de ton stage ?

En deux semaines, je n’en ai pas rencontré. C’est vrai que je suis arrivée avec des aprioris et des craintes mais j’ai aussi découvert que la cohésion d’équipe est très importante face aux difficultés, et nécessaire pour tenir dans ce métier. Comme les pompiers et les gendarmes, la place de la discussion entre collègues est primordiale, pour évacuer les doutes et les chocs. 

· Redoutes-tu une ou des situations en particulier ?

Comme je le disais, j’ai des craintes… En tant que jeune maman, le fait de voir un bébé ou un enfant décédé risque de me toucher beaucoup plus que de voir une personne âgée. Ce ne serait pas « normal » par rapport à une personne de 95 ans. Lorsque cela arrivera, ce sera certainement compliqué mais je pense réussir à tenir, à le faire, pour les parents. 

· Justement, comment allies-tu le fait d’avoir donné la vie récemment et de t’occuper de défunts ? 

Au final, la boucle est bouclée. J’ai donné la vie sur Terre et j’aide des défunts à passer dans l’autre Vie. Et puis, il faut savoir faire la différence entre le travail et la vie privée. Je vis comme tout le monde. Même si ce n’est pas qu’un métier, parce qu’à mon sens, c’est plus une vocation, j’ai envie que les gens le considèrent comme les autres professions. En rentrant chez moi le soir, je ne me rappelle plus des visages  dont j’ai dû m’occuper parce que je fais une grosse distinction entre la journée au travail et la soirée en famille.

· J’imagine que cette envie de « normaliser » la profession te vient des nombreux clichés auxquels tu es confrontée ?

Entre autres, et des clichés, il y en a beaucoup ! Par exemple, je me souviens de la réaction choquée d’une cliente des pompes funèbres lorsqu’elle m’a croisée en courses, comme si ce n’était pas normal pour une conseillère funéraire d’acheter à manger. Je lui ai simplement répondu en souriant : « Beh oui, je suis comme tout le monde, je mange ». Elle semblait vraiment abasourdie, ça m’a fait rire. J’ai aussi eu le droit à certaines insinuations. Par exemple, que j’allais dormir dans des cercueils en faisant ce métier… Et pourquoi pas tiens ! (rires) Depuis ma reconversion, ma meilleure amie me surnomme « la croque-mort »… Pourtant, je t’assure que je ne croque aucun mort ! Donc non, nous ne sommes pas des vampires : on dort, on mange, on vit le jour, on ne croque pas les morts et on a une vie personnelle. 

· Tu parles d’une amie. Mais, quelle a été la réaction de ton entourage à l’annonce de ton projet de reconversion de manière plus globale ?

Beaucoup n’ont pas compris, et en partie parce que je suis depuis peu jeune maman. On m’a dit que j’étais glauque mais heureusement je m’en fou pas mal et puis je sais que je suis décalée ! (sourire) Mon conjoint est le seul qui me soutient et ça me suffit amplement.  

· Qu’aurais-tu envie de dire ou de faire pour combattre les préjugés qu’ont beaucoup de personnes ?

Les combattre ne servirait à rien, de nouveaux réapparaîtraient après… Et puis, chaque métier traîne ses clichés ! J’ai juste envie de dire aux gens que les personnels du funéraire sont des gens normaux, avec un coeur et des émotions. Nous prenons simplement la distance nécessaire pour ne pas être écoeuré par la mort, marqué par un décès. Il faut faire preuve de professionnalisme. Et si nous le faisions pas… Qui le ferait d’ailleurs ? 

· Penses-tu continuer à long terme ?

Oui, je l’espère de tout cœur. J’espère par la suite pouvoir gérer mes propres pompes funèbres. Le temps nous le dira. 

Propos recueillis par Chloé Gaillard
__ Mars 2020

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Océane* : Par volonté d’anonymisation, le nom de l’interviewée n’est pas communiqué.